mardi 6 octobre 2009

L'Autre (Fiction Yaoi) - Chapitre 05


Lors de la semaine qui s’en suivit, Pierre et Marc se rencontrèrent tous les soirs au café où ils s’étaient retrouvés la première fois. Cependant, il n’y avait rien dans leurs rapports qui pouvait sous-entendre qu’ils étaient plus que de simples amis. Du moins, c’était l’idée à laquelle Pierre se raccrochait désespérément. Il faisait fi de ses battements de cœur qui s’accéléraient lorsqu’il voyait le doux visage de cet homme. Il ne faisait pas attention à ses mains moites lorsqu’il l’effleurait. Il ne prenait pas garde à sa peau qui le brûlait aux moindres contacts. Il ne portait pas attention à son visage rougissant dès que leurs regards se croisaient. Tout cela n’était pas de circonstance et il se refusait toujours à penser que Marc pouvait avoir d’autres objectifs. Pourtant, les signes ne manquaient pas.
Dès le lendemain de leur premier rendez-vous, le jeune cadre était alors devenu plus entreprenant. Il frôlait accidentellement le genou de Pierre du sien. Il posait une main chaleureuse sur celle de son compagnon pour marquer son propos. Il lui lançait des regards brûlants que l’employé de banque ne savait interpréter. Il l’aidait à remettre son imperméable et en profitait pour frôler la peau de sa nuque, ce qui avait, à chaque fois, extirpé un frisson à Pierre. Mais ce dernier refusait toujours de se rendre à l’évidence. Pour lui, Marc n’était qu’un simple ami, un homme chaleureux qui avait besoin de contacts humains.
Trois semaines se passèrent sans que le jeune cadre n’osât aller plus loin. Au cours de leurs rencontres, il avait l’impression de gagner un peu de terrain. Il lui semblait que Pierre se détendait enfin et qu’il n’était plus complètement réfractaire à ses avances. Toutefois, il avait le sentiment que son nouvel ami ne se rendait pas compte que lui, avait envie d’autre chose. Pourtant, au bout de ce temps passé à faire connaissance, le trentenaire brun espérait pouvoir passer à l’étape supérieure. Il n’avait plus vu Eden depuis lors, et considérait que leur relation était terminée. Aussi, il ne se sentit pas coupable, ce vendredi soir là, lorsqu’il eut l’intention de demander à Pierre un rendez-vous plus intime.
« Tu as quelque chose de prévue pour ce week-end ? » le questionna-t-il en sortant du café.
« Non. »
Marc sourit. S’il y avait quelque chose qui n’avait pas changé durant leurs rencontres quotidiennes, c’était la timidité de Pierre. Le jeune cadre espérait, toutefois, que ce manque de confiance en lui ne le contraindrait pas à le repousser.
« Je sais qu’on n’a pas l’habitude de se voir le week-end mais tu ne voudrais pas venir à la maison samedi soir pour boire un verre, peut-être dîner ? » poursuivit Marc.
Ce dernier sentit une hésitation de la part de son interlocuteur mais celui-ci finit par excepter. Cela lui réchauffa le cœur et il ne put s’empêcher de sourire niaisement lorsqu’il donna son adresse à Pierre. Il profita de cet échange pour effleurer les doigts du trentenaire blond qui frissonna. Marc avait l’impression d’être redevenu un adolescent amoureux. Son cœur faisait des bons de joie dans sa poitrine. La température de son corps montait incontestablement. Ses yeux pétillaient de bonheur à la seule évocation du prénom de Pierre. Dès qu’il le voyait, un sourire niais illuminait son visage sans qu’il ne pût le cacher. Il avait pourtant passé l’âge de tomber amoureux au premier regard, mais c’était néanmoins ce qu’il s’était passé. Et il espérait vivement que cela déboucherait sur quelque chose de plus concret.
Alors, le samedi soir venu, Marc sortit le grand jeu. Il avait passé l’après-midi devant les fourneaux à concocter un succulent repas qui ferait succomber le plus réfractaire des critiques culinaires. Il avait acheté une bouteille du meilleur bordeaux et une bouteille de champagne pour le désert. Il avait dressé une table sobre mais élégante que des chandelles illuminaient. Puis, il avait échangé son éternel costume de jeune cadre dynamique pour une tenue plus décontractée : un pantalon de coton fin gris et un pull noir moulant qui mettait en valeur la courbe de ses muscles. Si avec tous ces efforts, Pierre ne comprenait toujours pas les allusions, Marc savait qu’il ne servirait à rien d’insister d’avantage. Il jouait là, sa dernière carte pour le faire succomber à son charme.
Pierre arriva vers dix-neuf heures trente, et Marx fut déçu de constater qu’il n’avait fait aucun effort vestimentaire, se contentant de porter son costume de tous les jours. Cependant, il ne fit rien paraître de sa contrariété et l’invita à boire l’apéritif. Sachant que l’employé de banque n’était pas un grand amateur d’alcool, il lui avait prévu un cocktail de jus de fruit et espérait tout de même qu’il se laisserait tenter, plus tard, par le vin.
Pierre ne sembla pas s’offusquer du dîner aux chandelles ni des attentions plus qu’explicites de son ami. Après l’apéritif, ils dînèrent à la lueur des bougies, tout en discutant de tout et de rien. L’ambiance était intimiste, presque amoureuse. Au grand soulagement de Marc, son compagnon ne refusa pas le bordeaux qu’il avait choisi pour lui. Le trentenaire brun profita de l’atmosphère adéquate pour poursuivre ses avances de moins en moins tacites. Pierre n’eut aucun mouvement de recul ni de rejet, ce qui rassura son compagnon.
À la fin du repas, ils allèrent s’asseoir sur le canapé, buvant le champagne, et Marc en profita pour passer un bras autour des épaules de son ami. Même si Pierre ne semblait pas le refuser, le jeune cadre savait qu’il devait agir avec précaution et ne pas l’effrayer. Il avait le sentiment que le trentenaire blond n’était pas encore prêt à s’avouer ses propres désirs. Toutefois, sans doute grâce à l’alcool, ce dernier se détendit et appuya sa tête sur le bras de Marc.
« Je suis bien là. Je crois que j’ai pas ressenti ça depuis Eden, » avoua Pierre. Mais il se reprit aussitôt en se redressant et posant son verre sur la table basse : « Je crois que j’ai trop bu.
Eden ? »
Marc avait senti comme un choc électrique à l’évocation de ce prénom. Il allait enfin connaître le rapport qu’il y avait entre l’homme qu’il désirait si ardemment et son ex-amant.
« Je-je devrais pas te parler de ça, » bégaya le trentenaire blond, visiblement gêné.
« Non, vas-y. Je t’écoute. »
Pierre lui lança un regard inquiet. Penser à Eden lui faisait du mal, mais peut-être qu’en parler lui ôterait ce poids qui pesait sur son cœur. Ne sachant trop que faire, il reprit sa place dans le creux du bras de Marc et commença à raconter leur histoire.
« J’ai rencontré Eden il y a deux ans à peu prés. Il venait d’avoir son bac et de rentrer à la fac. C’était une rencontre surréaliste. Je rentrai chez moi quand il m’a bousculé. Il était entrain de courir pour échapper à des poursuivants – il a toujours eu le don pour s’attirer des ennuis – et il m’a poussé avec une telle violence qu’il est tombé sur moi… »
Pierre avait un sourire triste figé sur son visage à l’évocation de ses souvenirs, et Marc, quant à lui, devait faire d’incommensurables efforts pour ne pas l’embrasser.
« Puis, ses poursuivants sont arrivés, et ils m’ont pris pour son petit-ami, je crois. Eden m’a dit de courir, et il m’a prit par la main m’entraînant à sa suite. Je ne comprenais pas ce qu’il se passait mais je n’arrivais pas à me résoudre à lui lâcher la main. On atterrit chez lui. On commença à discuter et il m’apprit que ces mecs n’arrêtaient pas de le poursuivre depuis qu’il avait fait des avances à l’un des leurs. On est devenus amis par la suite. Malgré la différence d’âge, je me sentais bien avec lui. Malheureusement, il m’entraînait toujours dans des bars gays même si j’avais beau lui dire que je ne l’étais pas. Il était génial, toujours plein de vie. Mais il ne faisait jamais attention à ce qu’il faisait.
Vous êtes sortis ensemble ? » se risqua d’intervenir Marc.
« Non. C’était pas comme ça entre nous. C’était un ange. On était juste amis. Je n’aurai jamais pu faire quelque chose comme ça avec lui. Je ne voulais pas le salir. » Et se rendant compte de ce qu’il disait, Pierre s’empressa de se redresser et ajouta : « Je ne suis pas gay. Il l’était mais pas moi !
Qu’est-ce qu’il s’est passé ? » demanda le jeune cadre afin de détourner la conversation de ce sujet délicat.
« Les mecs qui le poursuivaient ont fini par l’attraper. Ils l’ont battu à mort. Ils sont tous en prison maintenant.
Je suis désolé. »
Pierre haussa les épaules pour toute réponse et une larme coula le long de sa joue. Il détourna la tête. Marc lui prit le visage d’une main et l’obligea à le regarder. Il essuya la joue humide du blond en plantant son regard brûlant dans le sien. Il savait qu’il faisait sans doute une erreur mais il ne put se retenir, et il approcha son visage de celui de Pierre. Ce dernier le regardait pétrifié. Marc posa ses lèvres avec douceur contre celle de son compagnon. Il bougea doucement contre sa bouche sans oser aller plus loin. Pierre finit par le repousser.
« Arrête. Qu’est-ce que tu fais ?
J’avais envie de t’embrasser.
Je ne suis pas gay !... Je-je ferais mieux de rentrer.
Tu n’es pas en état de conduire. Tu peux rester ici si tu veux, je dormirai sur le canapé.
Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée.
Ne t’inquiète pas, je ne ferais rien contre ta volonté. Puis, j’ai compris, tu n’es pas gay, et ce n’est pas mon genre d’essayer de convertir les hétéros. Tu peux dormir tranquille. »
Pierre finit par accepter l’invitation et alla se coucher dans la chambre. Marc s’allongea sagement sur le canapé. Il avait le cœur brisé. Pierre ne voulait pas de lui et le lui avait bien fait comprendre. Le jeune cadre se demandait où il avait bien pu se tromper. C’était sans doute à cause de la ressemblance troublante avec son ex-amant qu’il lui avait fait présupposer que Pierre était gay. Après tout, aucun signe ne lui avait indiqué le contraire. Contrarié par cette soirée, il s’endormit avec difficulté.
Au beau milieu de la nuit, Marc fut réveillé par une main caressant son visage. Il ouvrit les yeux avec difficulté et regarda le visage penché au-dessus de lui.
« Pierre ? Ça va ? Qu’est-ce qu’il se passe ? »
Le blond lui sourit et le trentenaire se leva brusquement en reconnaissant son ex-amant.
« Eden ? Qu’est-ce que tu fais là ? Co-comment t’es entré ? »
Le jeune homme continuait de lui sourire, le regard amusé.
« Quelle surprise j’ai eu quand je me suis réveillé dans ton lit ! Alors je t’ai cherché et je te trouve sur le canapé. Tu me déçois, j’espérais que tu serais plus entreprenant.
Mais attend ! Qu’est-ce que tu racontes ? Où est Pierre ?
J’avais l’intention de rien te dire, mais je crois que j’ai pas le choix.
- Qu’est-ce que tu racontes ? Tu me fais peur, Eden ?
- Qu’est-ce que tu ressens pour Pierre ? »
À cette interrogation, Marc se leva furieux.
« J’ai pas l’intention de répondre à cette question. Je n’ai pas eu de nouvelles de toi depuis trois semaines, alors j’en ai conclu que c’était fini. Maintenant, rentres chez toi.
Oui, mais ça risque de faire bizarre à Pierre s’il se réveille chez lui alors qu’il s’est endormi chez toi.
Mais, enfin, je ne comprends rien de ce que tu racontes. Je ne vois pas ce que Pierre à avoir avec toi. »
Marc regarda son ex-amant négligemment et la réalité lui sauta aux yeux. Eden portait les vêtements de Pierre. Pourtant, il n’arrivait toujours pas à mettre les morceaux du puzzle en place.
« Tu as entendu parler de multiples personnalités ? »
Cette question alluma l’esprit du trentenaire qui venait de comprendre. Pierre était Eden, Eden était Pierre.
« Pourquoi ? Qui es-tu ?
Eden. Je suis Eden. J’ai rencontré Pierre, il y a deux ans…
Je connais l’histoire, » le coupa Marc qui venait de faire le lien. « Mais pourquoi toi ?
Pierre n’a jamais été doué en amour. Trop coincé à mon avis. Alors avant de mourir, je – enfin le vrai Eden – lui a fait promettre d’être heureux et de trouver l’amour. Pierre devait savoir qu’il ne pourrait jamais faire ça, c’est pour ça qu’il m’a créé. Il refuse toujours d’accepter qu’il est gay. Un truc avec son père je crois, mais bon je suis pas psy. Alors la nuit, quand il dormait, je me réveillais et je lui ai cherché un mec qui pourrait lui convenir et je t’ai trouvé. C’était pas difficile de savoir que tu étais le bon, je suis lui après tout. Mais comme Pierre ne savait rien de mon existence, ou de la tienne d’ailleurs, il a fallu que j’élabore un plan. Et ça n’a pas été facile. Mais par chance, tu l’as croisé et je me suis dit que c’était le destin. Puis, tu m’en parlais plus alors j’ai un peu forcé les choses en t’envoyant à sa banque. Et comme c’est trois dernières semaines, Pierre se couchait tard, je n’ai pas pu venir te voir. Donc, voilà, tu sais tout. Maintenant, tu peux me dire où t’en es avec Pierre ? »
Debout au milieu du salon, Marc avait du mal à encaisser tout ce qu’Eden venait de lui raconter. Il ne savait plus où il en était. Il ne savait plus ce qu’il ressentait pour Pierre ou pour Eden. Son esprit était totalement embrouillé.
« J’ai besoin d’un verre, » dit-il.
« T’as pas assez bu ce soir ? Je sais que Pierre ne s’est pas gêné lui. »
Sans faire attention au ton sarcastique que le jeune homme venait d’employer, Marc alluma la lumière du salon et se précipita sur le bar. Il se servit un verre de bourbon qu’il but cul sec avant de remplir à nouveau le verre et d’en prendre une autre gorgée. L’alcool lui brûla la gorge mais ne lui permit pas d’éclaircir ses idées.
« Écoute, » fit Eden, le tirant de ses pensées. « Je cherche pas à t’effrayer. Moi, je disparaîtrais quand Pierre sera heureux. C’est le deal. Maintenant, …
Vas-t’en ! » l’interrompit Marc.
« Attends.
Vas-t’en ! J’ai besoin de réfléchir à tout ça. Je ne peux pas te donner de réponse maintenant. Vas-t’en !
Je ne peux pas partir. Pierre ne comprendra pas. Tu dois me laisser dormir ici. Pierre ne doit pas être au courant pour moi, il ne le supporterait pas.
Alors retournes dans la chambre et laisse-moi.
D’accord. Mais qu’est-ce que tu vas dire à Pierre ?
Après ce qu’il s’est passé entre nous, je suis sûr qu’il ne voudra plus me voir de toute façon.
Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Je l’ai embrassé et il m’a repoussé. Il n’est pas gay.
Il l’est mais il refuse de se l’avouer. Je t’en pris, ne le laisse pas tomber.
Vas te coucher. Je ne veux plus en parler pour le moment. »
Sur ces mots, Eden disparut dans la chambre. Marc resta quelques minutes sans bouger, ne sachant que faire. Puis, il éteignit la lumière et s’assit sur le canapé. Il ne réussit pas à s’endormir malgré la quantité d’alcool qu’il avait absorbé.


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Basé(e) sur une oeuvre à lespetiteshistoiresdeloalann.blogspot.com.

6 commentaires:

  1. On approche de la fin. Je comprends la réaction de Marc. Maintenant qu'il est au courant de la double personnalité de Pierre, le bonheur et la guérison de ce dernier dépendent du choix qu'il fera. S'il voudra bien ou non le soutenir. Je me demande ce que deviendra Eden. Est-ce qu'il est une création de Pierre ou une facette refoulée de sa personnalité? Dans le deuxième cas, Eden ne disparaîtra pas mais fusionnera avec lui. Mais bon, je n'y connais pas grand chose en psychanalyse. Même si on devine facilement que Pierre et Eden ne sont qu'une seule et même personne physique, tu as réussi à nous les rendre tous les deux attachants. Vivement le prochain chapitre. Ce sera le dernier, non?

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  2. Ha! Je me demandé où tu étais passé juste quand j'ai reçu le message. Je suis habitué à ce que tu me fasse un com à chaque fois que je publie un nouveau chapitre, donc merci d'être encore présente.
    Et pour répondre à ta question, je penses que je vais finir avec un seul chapitre mais comme je n'ai encore rien écrit, on pourrait avoir des surprises, donc qui me lira verra.

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  3. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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  4. Je suis toujours là mais maintenant je poste mes com sur ton blog -sauf si je vois que tu publies d'abord sur Manyfic. Je sais pas si t'as fait attention mais je t'en avais laissé un aussi sur ton chapitre précédent.

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  5. Oui, oui, j'ai vu mais je n'ai pas répondu parce que je n'avais rien à ajouter. Ceci dit, je reçois toujours tes commentaires avec plaisir, c'est ça que je voulais dire. Et comme en général, tu m'écris quelques minutes après mes posts, j'ai été surprise d'attendre un peu. Mais merci d'être là.

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  6. Ouah la vache ! Franchement jadore ! Merci XD

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