Pierre n’était pas gay. Non ! Il ne l’était pas. C’est ce qu’il se disait à chaque fois qu’il croisait le regard d’un bel homme qui lui souriait, à chaque fois que ses yeux s’attardaient un peu trop sur des courbes masculines, à chaque fois qu’il pensait à Eden. Non ! Pierre n’était pas gay. Il ne pouvait pas l’être, et ce, même si les sentiments qu’il avait pour le jeune homme s’apparentaient d’avantage à de l’amour qu’à de la franche camaraderie. Pierre n’était pas gay. Alors pourquoi avait-il suivit cet homme charmant qui lui avait fait le plus magnifique des sourires ? Pourquoi était-il assis en face de lui à le fixer dans un mutisme pesant ? Pourquoi ne pouvait-il s’empêcher de penser que cet homme était séduisant ? Il n’était pourtant pas gay. Alors pourquoi ses pensées devenaient-elles confuses quand il était face à ce magnifique brun d’une trentaine d’année ? Pourquoi ?
C’était peut-être parce qu’il avait un visage avenant, un sourire ravageur ou peut-être était-ce dû à son physique d’athlète. N’importe quel hétérosexuel digne de ce nom l’aurait remarqué et serait perturbé devant ce bel homme. Pierre n’avait pas de questions à se poser quant à son orientation sexuelle. Il n’était pas gay !
Cela faisait quelques minutes que le trentenaire brun et Pierre étaient entrés dans ce bar non loin du lieu de travail de ce dernier. Ils s’étaient installés à une table, l’un en face de l’autre. Un silence gêné s’en était suivit, moment durant lequel, Pierre se triturait les méninges pour comprendre ce qu’il faisait là. L’accalmie fut rompue par l’arrivée du serveur. Un beau jeune homme d’une vingtaine d’année sans doute. Pierre aurait dû se sentir dévaloriser face à la concurrence, mais à quoi bon puisqu’il n’était pas gay. Cependant, ce fut avec envie qu’il regarda discrètement le serveur.
« Un café, s’il vous plait, » commanda-t-il.
Il espérait que le nectar amer lui ferait passer la somnolence qui le gagnait toujours quand le soleil se couchait.
« Euh ! Je vais prendre la même chose. »
Le serveur les laissa après avoir prit en note leurs exigences. Il était temps qu’ils rompent ce silence qui pesait telle une ombre autour d’eux.
« Alors quelles étaient vos questions ? » demanda enfin Pierre.
« Et bien, d’après vous quelle serait la meilleure option parmi celles que vous m’avez présentées ? »
Pierre lui répondit en toute franchise. La discussion suivit son cours autour de ce sujet peu propice à faire plus ample connaissance. Pierre n’avait pas l’intention de dévier la conversation sur un autre sujet. Il n’y avait aucun intérêt à faire cela. Cependant, il mourrait d’envie d’en apprendre d’avantage sur cet inconnu, ce même inconnu qu’il se souvenait avoir croisé une semaine plutôt devant un petit restaurent où Sophie l’avait invité. Il savait qu’elle lui courait après mais bien qu’il ne fut pas gay, elle ne l’intéressait pas.
En revanche, l’homme qui lui faisait face l’intriguait. Cela n’avait rien à voir avec un quelconque désir. Il s’agissait seulement de curiosité qui incombait à chaque être humain. Cela n’avait rien à voir avec le fait que, bien malgré lui, cet homme l’attirait. Non ! Ce ne pouvait pas être ça puisqu’il n’était pas gay.
Mais, bientôt, la conversation ne permit plus de continuer sur le sujet des offres proposées par la banque. Pierre devrait quitter cet homme même s’il n’en avait pas réellement envie.
« Je n’ai pas vraiment envie de rentrer chez moi, » fit alors le trentenaire brun. « Resteriez-vous un peu en ma compagnie ? Personne ne m’attend chez moi, » mentit-il. « Oh ! Mais j’y pense, ce ne doit pas être votre cas. Votre petite-amie vous attend sûrement. »
Sa petite-amie ? Quelle petite-amie ? Pierre n’avait pas de petite amie. Mais la réponse lui vint à l’esprit. Sophie ! Sophie avec qui il était allé manger le jour de leur première rencontre.
« Je… Je n’ai pas de petite-amie. »
Pourquoi s’était-il sentit obligé d’en dire d’avantage ? Ce n’était pas son genre de se confier à des inconnus. Quel était cet étrange pouvoir qu’exerçait cet homme sur lui ? Ce dernier lui sourit encore et Pierre sentit son cœur fondre. Que lui arrivait-il au juste ?
« Ça vous dirait une bière ? »
Pierre acquiesça sans un mot. Il était en prise à une torpeur incompréhensible. Son corps faisait le contraire de ce que lui dictait sa tête. Il était divisé.
« Deux bières, s’il vous plait, » cria l’inconnu au barman derrière son comptoir.
« Vous… Vous ne m’avez pas encore dit votre nom. »
Qu’arrivait-il donc à sa bouche ? À qui donc appartenaient ses mots qui venaient de lui échapper ?
« Oh ! C’est vrai. Excusez-moi. »
L’inconnu fouilla dans son manteau et sortit une petite carte blanche de son portefeuille qu’il lui tendit. Pierre la prit et la regarda attentivement. Un nom en capitale argenté et une fonction y étaient inscrits : Marc Debussy. DRH d’Avalon Société.
« Un lien avec le compositeur ? » demanda Pierre.
« Non, » répondit l’homme, qui n’était plus un inconnu à présent, en lui souriant.
« Et bien, enchanté de vous connaître, Monsieur Debussy.
- Oh ! Je vous en prie. Appelez-moi Marc. »
On vint poser leur bière sur la table. Dans un mouvement, le trentenaire brun frôla le genou – accidentellement ? – de son interlocuteur du sien. Pierre ne se brusqua pas. Leur jambe étaient à présent collées l’une à l’autre, mais le guichetier ne fit aucun mouvement de recul. Ce contact brûlait sa peau à travers le tissu de son pantalon. Cependant, il n’arrivait pas à bouger. Marc le considérait par-dessus son verre dont il prit une gorgée. Pierre replaça ses lunettes sur son nez, gêné et brisa le contact visuel.
« Vous ne vous n’êtes pas non plus présenté, » observa le jeune cadre.
« Euh, non. Je m’appelle Pierre. Euh… Pierre Leroy. Vous m’excusez, je n’ai pas de carte de visite à vous présenter. »
Marc sourit encore, charmeur.
« Bien sûr. Et bien, Pierre Leroy, il y a une question que je me pose depuis que nous nous sommes vus en début d’après-midi… »
Pierre se crispa. Non ! Il n’était pas gay ! Mais pourquoi cette rengaine lui venait-elle toujours à l’esprit ? Qu’est-ce qui pouvait bien lui faire croire que l’homme en face lui cherchait à le séduire ? Ce n’était pas parce qu’il était quelque peu troublé par la prestance de cet homme, qu’il avait des raisons de se sentir désiré. Et puis, qui voudrait être désiré par un autre homme ?
« … vous n’avez pas honte de faire du charme à de pauvres vieilles dames ? » acheva Marc en souriant.
Pierre eut envie de rire mais il ne pu qu’esquisser un sourire timide comme à son habitude. Il replaça ses lunettes sur le sommet de l’arrête de son nez tel qu’il le faisait toujours lorsqu’il était gêné. Il ne s’en était jamais rendu compte jusqu’à qu’Eden lui en fasse la remarque. Eden ! À la pensée de ce dernier, son regard se voila de tristesse, ce qui n’échappa à Marc.
« Vous vous sentez bien ?
- Oui. Euh… Je suis un peu fatigué. Je crois que je vais vous laisser.
- Mais vous n’avez pas fini votre bière.
- Je… je n’aime pas… vraiment ça, en fait, » bégaya-t-il en se levant.
« Je peux vous commander autre chose si vous voulez.
- Non. Merci. Vraiment. Je me sens fatigué. Je vais rentrer. Combien… combien dois-je laisser ?
- Laissez ça. Ce soir c’est moi qui offre. Vous payerez la prochaine fois. Demain ?... Même heure ?... Même endroit ?... »
Pierre fut surpris de cette nouvelle invitation mais il ne pu se résoudre à la refuser. Il quitta donc cette nouvelle rencontre et sortit du café. Le ciel s’était obscurci. Pierre n’avait pas vu le temps passer. Trop impliqué dans l’échange qui venait d’avoir eu lieu, il n’avait même pas eu cette somnolence qui l’accaparait toujours à cet instant de la journée. Tentant de se couvrir du mieux qu’il pût de son imperméable beige, le vent hivernal l’accaparant, Pierre prit la direction de son appartement.
Quand Marc rentra chez lui, Eden n’était pas là. Après tout, le jeune homme n’avait pas les moyens d’entrer dans l’appartement et il était tard. Il avait dû se lasser d’attendre son amant et était rentré chez lui. Le trentenaire s’en sentit soulagé. Il avait besoin de réfléchir, de faire une pause dans sa relation avec Eden. Il devait penser à Pierre. Qu’allait-il faire ? Après la discussion qu’ils avaient eu, à certains moments il avait sentit un rapprochement, mais s’en suivait obligatoirement de lui fuite du blond. Si à certains instants, il avait eu l’impression que l’attirance qu’il éprouvait pour cet homme était réciproque, à d’autres, le sentiment qu’il s’agissait d’une cause perdue engloutissait son âme.
Marc prit une bière dans son réfrigérateur et s’assit à la table de sa cuisine. Il décapsula la bouteille et but une gorgée. Il joua avec la capsule inutile alors que le visage de Pierre dansait dans son esprit. Il avait très envie de le revoir. Il n’expliquait pas cette attirance incontrôlable pour cet homme. Ce n’était pas uniquement physique. De cela, il en était sûr. En effet, son amant avait la même apparence et pourtant, il ne l’attirait pas comme Pierre l’attirait. Cet homme avait une aura, un quelque chose qui faisait que Marc avait envie d’être à ses côtés. Il avait le désir d’en apprendre d’avantage sur lui. Puis, la tentation de le toucher n’était pas bien loin non plus. Mais il n’arrivait pas à comprendre pourquoi. Pourquoi cet homme ?
Marc finit sa bière et jeta la bouteille. Puis, il quitta la cuisine et gagna la salle de bain. Il se déshabilla. Il fait couler l’eau de la douche et s’y engouffra. Le jet puissant martela sa peau fatiguée. Cela lui fit du bien. Il regrettait qu’Eden ne fût pas là. Il était vrai qu’il avait besoin de faire le point, mais plus il pensait à Pierre et plus son esprit s’embrouillait. Oublier ce labyrinthe émotionnel dans les bras d’un homme était ce dont il avait besoin en cet instant.
Fermant les yeux, Marc essaya de se rappeler du corps de son jeune amant : sa peau fine et blanche, sa courbe de rein arquée, son postérieur musclé, son buste ciselé, ses bras menus, ses grandes mains fines, le galbe de ses épaules, de sa nuque, de son cou… Ses images mentales l’excitèrent. D’une main ferme, le trentenaire prit son membre érigé et commença à le branler. Il laissa les souvenirs suaves d’Eden valser dans son esprit. Profitant du bien-être que lui prodiguaient l’eau chaude frappant sa peau et ses propres caresses sur son sexe suintant, il ne se rendit pas compte que Pierre avait remplacé Eden. Ce ne fut que lorsqu’il jouie que le visage de cet homme lui apparut clairement. Il se sentit coupable.
Marc avait l’impression d’avoir outre passé son droit en fantasmant sur l’employé de banque. Comment allait-il pouvoir le regarder en face lorsqu’il le reverrait le lendemain ? Puis, ne venait-il pas de tromper son amant ? Certes, il ne s’agissait que d’un fantasme, mais cela le rendait mal à l’aise. Il ne pouvait réprimer un sentiment de honte vis-à-vis de ce qu’il venait de faire. Il n’y avait pas réellement de quoi et pourtant, il s’en voulait.
Lorsqu’Eden se réveilla, il regarda le réveil par réflexe qui lui indiqua que la nuit était bien avancée. Il en fut surpris. Pierre n’avait pas l’habitude de se coucher si tard. Le jeune homme en conclut qu’il s’était passé quelque chose et il eut soudain peur. Et si Pierre s’était obstiné et avait rencontré une jeune femme insipide qui lui ferait momentanément oublier ce qu’il était. Eden voulait le voir heureux, mais non pas le savoir entrain de se mentir et de vivre un semblant de bonheur : ce n’était pas le but.
Suspicieux, le jeune homme examina les vêtements de son bien-aimé. Ils ne portaient aucune marque d’un quelconque maquillage ou aucune trace d’un quelconque parfum qui laisserait supposer une présence féminine dans la vie de Pierre. Toutefois, Eden n’était pas satisfait. Il se rendit compte que son cher et tendre avait bu du café. Peut-être était-ce la cause de ce retard ? Cependant, cette idée ne lui convenait pas. Il avait besoin de plus de certitudes.
Eden se leva et rejoignit le salon. Il trouva la sacoche de Pierre et s’attela à en percer les secrets. Néanmoins, il ne trouva rien de très concluant. Déçu, il passa un regard distrait sur la pièce. Il ne savait pas vraiment ce qu’il cherchait. Or, son attention se porta sur cet immonde imperméable beige que Pierre se refusait à jeter. Eden devenait fou. Il avait l’impression d’être une épouse qui cherchait hystériquement les preuves de l’infidélité de son mari. Il haussa les épaules. Après tout, cette impression ne changeait rien au fait qu’il avait besoin de savoir ce qu’il en était.
Il prit donc l’imperméable et en fouilla les poches. Il trouva une carte de visite. Il sourit lorsqu’il y lût le nom : Marc Debussy. Alors tout avait fonctionné selon son plan. Si Marc avait donné sa carte de visite à Pierre, c’est qu’il espérait que ce dernier le contact. Et si Pierre avait accepté cette carte, c’était que leur rencontre s’était bien déroulée. Son amant avait donc joué le rôle qu’Eden lui avait attribué. C’était parfait.
Pourtant, le cœur du jeune homme lui faisait mal. Il savait que bientôt, il devrait quitter Pierre, et cela le peinait. Mais c’était bien là le pacte tacite qui avait été conclu : il pouvait vivre quelques jours de plus et permettre à Pierre d’être heureux avant de disparaître. Il lui avait promis. Eden ne pouvait faire autrement. Il savait qu’il ne pourrait rester avec aimé éternellement, pas comme cela.
Une larme coula le long de sa joue. Il ne s’était pas rendu compte qu’il pleurait, mais lorsqu’il le fit, il essuya sa joue rageusement. Ce n’était pas le moment pour s’apitoyer sur son sort. Il avait besoin de renseignements supplémentaires, et il fallait qu’il allât voir Marc. Cependant, il était trop tard pour visiter le trentenaire. Il devrait attendre le lendemain. Résolu, Eden alla se recoucher mais ne trouva pas le sommeil. Son esprit était tiraillé entre l’idée de devoir quitter Pierre et son plan pour le rendre heureux. Ce ne fut que lorsque les premières lueurs du jour percèrent à travers la fenêtre de la chambre qu’il s’assoupit.
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Ce chapitre confirme mon hypothèse sur la relation Eden-Pierre. J'attends avec impatience de savoir si Marc va finir par comprendre lui aussi quel est ce lien.
RépondreSupprimerMoi je toujours pas compris enfin je commence à comprendre mais pas sur de l'hypothèse et merci pour c chapitre :)
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