Eden passa toute la semaine qui suivit à tenter de trouver un plan pour mettre Marc sur la route de Pierre, encore une fois. Le destin ne semblait plus vouloir l’aider sur ce coup là. En effet, depuis sa rencontre avec Pierre, plus les jours passaient et plus l’humeur de Marc semblait décliner. Le jeune homme n’aurait su l’expliquer. Tous les soirs, alors qu’ils étaient à table, il questionnait le trentenaire sur sa journée. Bien sûr, tout ce qui l’intéressait était de savoir s’il avait revu Pierre. Mais à aucun moment, le prénom de son bien-aimé de fut à nouveau prononcé. De plus, Marc ne semblait pas apprécier ce soudain intérêt pour sa vie privée. Jusqu’à présent, leurs échanges s’étaient confinés à des ébats amoureux et l’amant d’Eden paraissait ne pas souhaiter changer cet état de fait.
Toutefois, si le trentenaire était de plus en plus morose lors de leur discussion, aux moments de leurs étreintes, il était de plus en plus passionné et inventif. À ces instants, Marc pouvait se révéler un amant d’une infinie tendresse, tendresse, qui jusque là, n’avait jamais été concédée au jeune homme. Ce dernier ne pouvait s’empêcher de penser que tout l’amour dont son amant faisait preuve ne lui était pas destiné. Si dans un sens, il était heureux de voir que Pierre devait être l’objet des fantasmes de son partenaire, Eden en avait tout de même un petit pincement au cœur. Cependant, il se disait que son malaise venait sûrement du fait que son plan n’avait pas encore atteint son objectif et non pas du fait que les caresses de son galant n’étaient plus pour lui.
Le jeune homme trouvait tout de même étrange que Marc puisse éprouver de tels sentiments pour un homme qu’il n’avait dû voir que quelques minutes en tout et pour tout. D’autant plus qu’Eden et Pierre avaient la même physionomie. Alors, le jeune blond ne pouvait qu’espérer que le soudain mal être qui avait gagné son compagnon était bien dû à l’absence de Pierre dans sa vie. De toute façon, il fallait qu’il trouve un moyen de les faire se rencontrer à nouveau.
Eden avait eu diverses idées, toutes plus stupides et irréalisables les unes que les autres. Il s’était demandé ce qui pouvait bien les réunir, et le sentiment que se fusse lui, lui était apparut comme une évidence. Il aurait pu laisser un message sur le répondeur de Pierre en se faisant passer pour Marc. Il aurait alors affirmé être son ami et formulé le souhait de lui parler du jeune homme, fixant un rendez-vous pendant la journée dans un café quelconque. Puis il aurait donné rendez-vous à Marc dans ce même café à la même heure. Étant donné que les deux hommes s’étaient déjà rencontrés, ils auraient aisément lié conversation. Cependant, Eden ne se montrant pas, la supercherie aurait été vite démasquée et le jeune homme savait que Pierre aurait fini par fuir s’il s’était réellement présenté au rendez-vous, ce qui n’était même pas sûr. Non ! Il fallait qu’il trouve autre chose. Quelque chose qui ne permettrait pas à son bien-aimé de se soustraire à la situation.
Peut-être que la seule solution tenait à ce que les deux hommes se rencontrent dans le cadre de leur travail. Mais comment faire rencontrer un jeune cadre d’une société en expansion et un guichetier de banque ? Eden savait qu’il lui était impossible d’interférer dans les affaires professionnelles de son compagnon. Il ne pouvait décemment pas lui demander que sa société change de conseiller financier, pour une entreprise bien précise. D’autant plus qu’il ne connaissait même pas la banque avec laquelle la start-up de son amant était en partenariat. Il devait donc lui demander un service personnel qui amènerait Marc à se présenter au guichet de la dite banque. Mais lequel ? Eden n’avait pas de compte à son nom dans cet établissement et il n’avait pas la possibilité d’en créer un. Et une idée lumineuse vint éclairer son esprit. Justement créer un compte !
Satisfait de la stratégie qu’il avait mise au point, Eden se rendit, comme chaque soir, à l’appartement du trentenaire qui l’accueillit froidement. Faisant fi de ce changement de comportement à son égard, il s’installa à table pour déguster le repas qui y était servit. Il fallait qu’il se dépêche de mettre à exécution son plan. Il sentait que sa relation avec Marc touchait à sa fin et qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps.
Ils dinèrent en discutant de tout et de rien et Eden n’interrogea pas son amant sur le déroulement de sa journée. Il était conscient que cette question l’agaçait et il devait mettre un peu de distance entre eux, s’il ne voulait pas que Marc mette fin à leur histoire sur le champ. Il écouta donc son partenaire d’une oreille peu attentive comme il l’avait toujours fait. Ce dernier sembla s’en rendre compte et voyant leurs rapports revenir à ce qu’ils étaient, il se radoucit.
Une fois leur repas fini, ils débarrassèrent la table. Eden pensa que c’était le bon moment pour demander le service qu’il avait en tête. Alors qu’il ôtait son tee-shirt en se dirigeant vers la chambre pour gagner du temps, son amant sur les talons, il se décida :
« Au fait, j’ai un petit service à te demander. Je peux ? »
Le jeune homme pria pour qu’on lui réponde à l’affirmative.
« Dis toujours.
- Je voudrais créer un compte à la Banque xxx. J’ai vu qu’ils proposaient de bons tarifs pour les jeunes. Mais je ne pourrais pas y aller demain. Tu pourrais aller chercher les formulaires d’inscription pour moi ? »
Marc le regarda soupçonneux. Il ne s’avérait pas très enthousiaste quant à l’idée de lui rendre ce service.
« Et tu ne peux pas y aller un autre jour ? »
Il n’avait pas pensé à cela. Non, il ne pouvait pas s’y rendre de lui-même mais il ne pouvait pas en donner la raison. Son esprit réfléchissait à toute vitesse et il trouva une solution. Il avait dix-neuf ans. Et que font les jeunes de dix-neuf ans ?
« J’ai cours toute la semaine et la banque est fermée le samedi.
- En gros, ce qui veut dire que quand tu auras remplit les papiers, il faudra que j’y retourne.
- Pas forcément. Il faudra que j’y aille, non ? Ils devront me faire signer d’autres papiers je pense. Non ? »
Marc y réfléchit. C’était vrai.
« Bon. Ok. J’irais. C’est quoi déjà la banque ?
- La banque xxx. Il y en a une, juste en face de ton boulot, je crois.
- Ça marche. »
Durant cette courte conversation, les deux amants s’étaient déshabillés puis glissaient sous les draps, opérant ce qui était devenu leur routine. La passion n’était plus là et le temps manquait à Eden. Pourtant, il avait encore tellement de choses à faire pour réunir les deux hommes qui lui tenaient à cœur.
Ils firent l’amour et Marc s’endormit. Vraiment, leur couple était à la dérive. Il ne restait plus rien à part l’habitude. Le jeune homme quitta les lieux et regagna l’appartement de Pierre en espérant que le lendemain serait un jour meilleur.
Le lendemain, le mystérieux Pierre – qui ne l’était pas vraiment – ne se montra toujours pas au restaurant familial. Marc en fut déçu, encore une fois. Cela faisait une semaine qu’il l’avait rencontré et il n’arrivait pas à se le sortir de la tête. En revanche, Eden continuait d’apparaître tous les soirs. Et étrangement, il semblait commencer à s’intéresser à la vie du trentenaire, lui demandant chaque soir comment c’était passé sa journée. La tournure que prenaient les choses ne lui plaisait guère. Marc avait l’impression que son amant s’attachait à lui et cette perspective ne lui convenait pas vraiment. Il voulait être libre. Il souhaitait pouvoir laisser libre cours à ses pulsions. S’enchaîner à un jeune homme de dix-neuf ans n’était pas dans ses projets. Il faudrait qu’il mette fin à cette situation d’autant plus s’il arrivait à revoir Pierre, qu’il sentait plus approchant de ses envies que ne l’était Eden.
Mais Pierre refusait de pointer le bout de son nez. Les jours passaient et se ressemblaient. Ne pas voir son énigmatique Pierre énervait Marc. Il s’ennuyait. Les échanges avec Eden n’avaient plus le même goût. Ils s’étaient installés dans une routine peu agréable. Le désir n’était plus là. Même si son amant avait un corps compatible au sien, une fois sortit du lit, leur caractère ne s’accordait pas. Eden était trop jeune. Et cet écart d’âge devenait de plus en plus pesant sur leur relation de couple. Marc n’avait jamais espérer grand-chose de leurs échanges, cependant, l’échec était difficile à supporter.
Une fois qu’il eut terminé son déjeuner, le jeune cadre se souvint qu’il avait promis à son compagnon d’aller retirer des papiers à la banque. Il lui fallut quelques minutes pour se souvenir du nom de l’entreprise mentionnée par Eden. Une fois que ce fut fait, il s’y rendit. Effectivement, comme son galant l’avait dit la vieille, une des succursales de la société se trouvait non loin de son entreprise. Marc entra dans la banque. Il se plaça derrière les quelques clients qui attendaient. Étant donné que c’était l’heure du déjeuner, un seul guichet était ouvert. Il regarda sa montre d’un air excédé, regrettant d’avoir accepté de rendre ce service à Eden. Mais il était trop tard pour faire demi-tour maintenant.
Une première personne quitta la banque et il ne resta plus qu’un client devant lui. Il s’agissait d’une vieille dame qui se plaignait d’irrégularités sur son compte. Le guichetier lui apporta une explication claire et précise, qui ne portait pas à discussion mais la cliente ne semblait pas satisfaite. Marc commençait à s’impatienter. Son travail l’attendait. Il n’avait pas le luxe de passer sa journée dans cette banque. Un homme entra par la porte du personnel et se plaça derrière le jeune guichetier en panique devant l’intransigeance de la vieille dame.
« Vas-y. Je te remplace.
- Merci, » fit le guichetier en soupirant de soulagement.
Il se leva et céda sa place au nouvel arrivant. Marc avait vu la scène du coin de l’œil mais n’y avait pas réellement prêté attention. Il fulminait intérieurement contre la cliente et surtout, contre Eden qui lui prenait de son temps.
« Madame Berger. Je vous ai déjà expliqué ce qu’il en était le mois dernier et le mois d’avant aussi. Chaque mois, nous vous prélevons le prix de vos échanges bancaires et il y en a beaucoup. Nous vous rendons un service de qualité et en échange, on vous demande une rétribution. Il faut bien que la banque puisse payer ses employés, non ?
- Alors, en fait, c’est ce que je paye pour que vous me gardiez mes sous ?
- Voilà.
- Ha ! D’accord alors. Merci jeune homme.
- Je vous en pris, Madame Berger. Et on se voit le mois prochain.
- Oui, jeune homme. »
La vieille femme semblant rassurée, s’éloigna du guichet et Marc la suivit du regard. Il s’approcha du comptoir sans la quitter des yeux, intrigué.
« Pourquoi le mois prochain ? Si elle a compris, elle ne devrait pas revenir, » s’enquit le trentenaire, les yeux fixaient sur le dos de la vieille dame qui semblait peiner à ouvrir la porte de sortie, coincée dans le sas de sécurité.
« Oui. Elle devrait mais il ne faut pas rêver. »
La voix qui lui répondit lui donna des frissons. C’était une voix chaude et sensuelle. Il ne l’avait pas remarqué jusqu’à présent, mais là, il ne pouvait nier que cette voix l’exaltait.
« Vous ne croyez pas que c’est parce qu’elle a le béguin pour vous qu’elle revient chaque mois ? » plaisanta-t-il en se retournant enfin vers son interlocuteur.
Marc eut le souffle coupé. Il ne s’attendait pas à cela. Là, devant lui, se trouvait l’homme qui occupait toutes ses pensées depuis une semaine. Cet homme avec ses cheveux blonds plaqués en arrière par une trop grande quantité de gel, avec ses lunettes qui ne cessaient de glisser sur son nez et qu’il replaçait sans arrêt avec le bout du doigt, avec ses magnifiques yeux noisette aux reflets verts, cet homme là se trouvait à présent face à lui et lui souriait timidement à travers la vitre de plexiglas.
« Je suppose que vous veniez pour quelque chose de précis ? »
Marc se rendit compte qu’il était resté bouche bée et les yeux écarquillés pendant un trop long moment. Il se ressaisit mais rougit quelque peu de honte.
« Euh ? Oui. Je souhaiterais avoir des renseignements sur les comptes que vous proposez aux étudiants. »
L’homme en face lui leva les sourcils d’étonnement.
« Ce n’est pas pour moi, » ajouta-t-il en souriant. « Euh ! C’est pour mon petit frère. »
Le trentenaire se mordit les lèvres. Il regrettait d’avoir mentit mais il ne pouvait tout de même pas dire à l’homme qui lui plaisait qu’il avait un amant. Il ne voulait pas détruire ses chances avant même avoir eu le temps d’apprendre à la connaître.
« Oh ! Dans ce cas, voilà les offres proposées aux étudiants. »
Pierre fit glisser plusieurs documents dans l’interstice prévu à cet effet. Le trentenaire les prit mais ne détacha pas son regard du visage de l’homme qui s’ingéniait à lui présenter toutes les possibilités que pouvaient avoir « son frère ».
Une fois l’explication achevée, Marc réfléchit à un moyen de maintenir la conversation. Ses yeux dévièrent alors sur la pendule derrière le guichetier. Il était quatorze heures et trente passés. Il n’avait plus le temps. Il était déjà en retard. Il remercia Pierre et quitta les lieux, la paperasse pour Eden sous le bras. Il regrettait de ne pas avoir plus de temps devant lui. Mais à présent, il savait où trouver l’homme de ses fantasmes et pour cela, il devait remercier le jeune homme et son emploi du temps surchargé.
Lorsqu’il arriva à son bureau, sa secrétaire le toisa du regard. Mais, Marc lui fit un sourire charmeur, laissant sa joie éclater et son employée en fut surprise. Elle ne dit rien et le laissa en paix toute l’après-midi.
En fin de journée, le jeune cadre quitta son travail en avance. Il alla directement à la banque qu’il avait quittée quelques heures plus tôt. Elle était censée fermer à cinq heures moins le quart mais il était dix-sept heures et le guichet était toujours ouvert pour le dernier client. Il s’adossa au mur d’enceinte et attendit que les employés sortent. Il dut patienter presque une demi-heure avant que Pierre ne quitta l’établissement. Marc le laissa dire au revoir à ses collègues et s’approcha de lui. L’homme aux cheveux blond le remarqua enfin.
« Oh ! » s’exclama-t-il surpris. « La banque est fermée. Vous souhaitiez d’autres renseignements ? »
Marc ne s’était pas attendu à cette question et il lui fallut quelques secondes pour analyser la situation. Quelle était donc la meilleure approche ? Dire oui et lui demander plus d’explications ou avouer qu’il n’était pas là pour cela et risquer de le faire fuir.
« Oui. Malheureusement, je n’aurais pas le temps de repasser demain. Accepteriez-vous de m’en dire plus autour d’un verre ? Je sais que vous avez fini votre journée mais mon frère est assez pressé d’en finir avec cette histoire. »
Le trentenaire s’en voulait d’avoir mentit, d’autant plus que l’homme en face lui semblait sonder son âme. Il lui fit son plus beau sourire et Pierre eut un léger mouvement de recul. Marc commença à paniquer. Si un simple sourire pouvait l’effrayer, il devrait faire extrêmement attention. Alors qu’il réfléchissait à un moyen de retourner la situation en sa faveur, il fut surpris d’entendre la réponse de l’employé de banque.
« Je vous suis. »
L'Autre by LoalAnn est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale-Pas de Modification 2.0 France.
Basé(e) sur une oeuvre à lespetiteshistoiresdeloalann.blogspot.com.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire