Le dimanche suivant, n’ayant toujours aucune nouvelle de Thomas et toujours décidé à ne pas faire le premier, François se rendit chez sa mère qu’il n’avait pas vue depuis un certain temps et qui ne cessait de le harceler de coup de téléphone pour le voir. Quand il se trouva devant la porte de la petite maison de banlieue où il avait grandi, François sonna refusant toujours d’entrer comme s’il était chez lui alors que, du temps où son père était encore de ce monde et durant une longue période, on lui en avait refusé l’accès.
Une petite femme rondelette aux cheveux teintés d’un auburn fade et dont les racines laissées apparaitre des cheveux blancs, lui ouvrit la porte. Ses yeux marron étaient d’une douceur incontestable mais laissaient transparaître la douleur occasionnée par la perte de son mari. François remarqua que sa mère avait pris du poids depuis la disparition de ce dernier. Devant le portrait affligeant que lui offrait la vieille femme, il eut un pincement au cœur, se promettant que leurs prises de contacts sporadiques se feraient plus régulières sentant néanmoins qu’il ne tiendrait pas ce serment fait à lui-même.
« Bonjour maman.
- Bonjour François. Entre, » dit-elle en se poussant pour laisser passer son fils.
L’homme s’engouffra dans la maison à la décoration vieillotte et les odeurs de son enfance le submergèrent. Il ne putt réprimer un frisson d’appréhension alors que lui venaient en mémoire les souvenirs de son père qui n’avait pas été tendre avec lui quand il avait appris l’homosexualité de son fils. C’était un homme bourru, alcoolique qui entendait que sa famille fasse ce qu’il exigeait. Aussi entêté que son fils, il resta en froid avec ce dernier jusqu’à ce qu’il décède d’une crise cardiaque quelques années plus tôt. Mais malgré le rejet de son père, et le mutisme de sa mère qui ne pouvait alors piper mot, François se dit qu’il s’en était plutôt bien sorti et ne comprenait pas pourquoi Thomas s’obstinait à cacher sa véritable nature à ses parents.
François quitta l’entrée et suivit sa mère dans le salon où la table était dressée.
« Thomas n’est pas avec toi ? »
Cette question fit sursauter François.
« J’aurais bien aimé le rencontrer, » ajouta sa mère ne remarquant pas le regard glacial que lui lançait son fils. « Il avait l’air charmant comme garçon.
- D’où connais-tu Thomas ? » demanda-t-il d’un ton froid enfin, ne se rappelant pas avoir, à aucun moment, mentionné l’existence de son amant à sa mère, de quelques manières que ce fut.
« Je lui ai parlé au téléphone quand j’ai appelé chez toi. Il a essayé de se faire passer pour un simple ami, » ajouta-t-elle dans un petit rire. « C’est pas au vieux singe qu’on apprend à faire des grimaces. »
Sa mère adorait dire ce genre de choses. Employer de vieux proverbes lui rappelait sa propre mère qu’elle avait perdue trop tôt. Tandis qu’il se souvint de ce comportement caractéristique de la vieille femme, François reprocha intérieurement à Thomas d’avoir osé décrocher son téléphone comme s’il était chez lui. Une autre bonne raison de ne pas flancher et de l’appeler, songea François. Mais il se rappela que Thomas éteignait toujours son portable quand il était chez son amant afin de lui consacrer tout son temps sans être dérangé et que, de ce fait, François l’appelait sur son propre téléphone fixe lorsqu’il cherchait à le joindre. Et avec cette constatation l’envie d’appeler son amant devint plus forte.
« Il avait des trucs à faire, » répondit enfin François à sa mère.
Il ne pouvait pas lui avouer la vérité de sa situation : qu’il avait proposé un break après trois mois de liaison, que Thomas avait accepté puis était parti sans plus donner signe de vie et qu’il se demandait de plus en plus s’il n’avait pas fait une belle connerie mais se refusait à lui courir après. Mais par dessus tout, il refusait de faire étalage de sa vie privée devant sa mère. Ce n’était pas son genre.
François ôta son manteau et le posa sur l’un des fauteuils du salon alors que sa mère revenait de la cuisine avec un plat fumant.
« Assied-toi. »
François s’exécuta. En voyant la sauce rougeâtre et huileuse qui flottait au fond du plat, il ne put réprimer une grimace de dégoût. Par chance, sa mère ne remarqua rien. Elle n’avait jamais été douée en cuisine. Il le savait et son défunt père aussi, mais aucun des deux ne s’étaient jamais plaint de cette circonstance. Puis, maintenant, qu’il était en bonne voie pour retrouver sa ligne, le plat plein de graisse qui lui était présenté ne lui faisait vraiment pas envie. Les plats diététiques que lui préparait Thomas avec amour tous les soirs lui manquaient. Thomas lui manquait même s’il refusait toujours de se l’avouer.
« Je te sers ? » demanda sa mère une louche à la main.
« Juste un peu. Je n’ai pas beaucoup d’appétit.
- Ça c’est que hein ! T’es bien comme ton père. Il faut toujours que tu trouves quelque chose à redire. Quoi ? Elle te plaît pas ma ratatouille ?
- Mais non maman ! Pas du tout ! C’est jusque que je n’ai pas faim. »
Voyant le regard triste que son fils lui lançât, elle se radoucit. Elle lui servit tout de même une bonne louche de la substance peu alléchante qui se trouvait dans le plat en fonte. Elle garnit son assiette de ratatouille et s’assit sans quitter son fils des yeux qui fixait l’assiette qu’on venait de lui fournir.
« Tu as des problèmes avec ton petit ami ? » finit-elle par se risquer.
François la considéra de son regard froid d’un gris presque métallique à vous glacer le sang. Et alors qu’elle avait son fils devant les yeux, elle crut, pendant un instant, y voir son défunt mari. Elle venait d’aborder le sujet tabou : l’homosexualité de son fils. Après la mort de son époux, elle s’était efforcée de se rapprocher de François, tâchant de lui faire comprendre qu’il serait toujours le bienvenu chez elle et que, maintenant que son mari n’était plus, il n’avait plus à se cacher. Toutefois, les souvenirs des disputes entre le père et le fils sur ce sujet brûlant continuaient à planer au-dessus de leur tête comme prêt, à tout moment, à s’abattre sur eux. Elle, elle en avait marre des disputes. Et maintenant, elle était seule. Elle avait perdu son mari et se refusait à perdre également son fils. Elle ne serait jamais grand-mère et bien tant pis, du moment qu’elle pouvait voir son fils heureux et épanoui. C’était tout ce qui lui importait à présent.
« Je crois que je vais y aller, maman.
- Non, reste. Je n’aborderai plus le sujet, je te le promets. Sache juste que si tu veux m’en parler, je serais prête à t’écouter. Maintenant, mange et… parles-moi de ton boulot, tiens ! Comment ça se passe ? »
François écouta sa mère et ne bougea pas. Ils discutèrent de son boulot quelques minutes mais sentant que son fils n’était pas d’humeur communicative, la vielle femme lui raconta les derniers évènements qui avaient marqués la famille ou encore, de ses copines de bridge. François l’écouta acquiesçant lorsqu’il le fallait, ajoutant une petite phrase par-ci par-là quand la conversation le demandait. Il n’avait jamais été proche de sa mère et bien qu’il savait que cette dernière l’aimait de tout son cœur, il ne pouvait s’empêcher de lui en vouloir pour ne pas s’être manifestée alors que son père le mettait à la porte, l’injuriant et lui ordonnant de ne plus jamais remettre les pieds chez lui. François se rendait bien compte que depuis la mort de son père, sa mère faisait tout pour se racheter mais les vieilles blessures étaient difficiles à oublier.
Le reste du repas se passa tranquillement, sans éclat. Le sujet « Thomas » ne fut plus abordé et après avoir bu son café, François embrassa sa mère et rentra chez lui, retrouvant son appartement toujours aussi vide et triste. Il se servit un verre de whisky et le but dans l’obscurité précoce des nuits d’hiver. Affalé sur son canapé à siroter son verre, il pensa à Thomas. Ce petit rituel était devenu une habitude depuis que son amant avait quitté les lieux. Il commençait à penser que c’était fini, que Thomas ne reviendrait pas. Peut-être que s’il l’appelait… S’il lui demandait de revenir… Peut-être que… Assommé par l’alcool, ce fut sur ces idées peu satisfaisantes qu’il s’endormait.
Ce fut un dimanche tranquille que Thomas avait passé avec ses parents, sa sœur, le mari de cette dernière et ses neveux, deux petites têtes blondes qui s’agitaient dans tous les sens. Ses larmes commençaient à se tarir et il pensait un peu moins à François. Mais le souvenir de son ex-amant restait telle une flamme tenace qui refusait de s’éteindre. Toutefois, il essayait de ne pas trop y penser, sachant pertinemment que s’apitoyer sur son sort ne lui servait à rien si ce n’était le plonger un peu plus dans la déprime qui l’accablait.
Thomas était allé se coucher avant tout le monde, exténué. Il avait besoin de se reposer et de penser à autre chose. Cette petite semaine de vacances allait l’y aider et ce fut le cas. Le week-end suivant, le jeune homme n’attendit même pas le dimanche pour rentrer chez lui. Il avait assez profité du confort que lui offrait ses parents et sa sœur. Il était temps qu’il retourne à la vie réelle. Une fois arrivé chez lui, ne se sentant pas le courage de rester seul dans son petit studio, il prit contact avec quelques uns de ses amis et réussit à les persuader de sortir prendre un verre quelque part, comme ils le faisaient si souvent avant qu’il ne rencontre François. Il se devait de reprendre sa vie en main même si la douleur de la blessure laissée par son ex-petit-ami était encore vivace. Au bout de deux semaines, François n’avait toujours pas pointé le bout de son nez. Il était temps pour lui de l’accepter et de passer à autre chose.
Vers dix-neuf heure trente, après avoir avalé à la va-vite un petit quelque chose, il avait rejoint quatre de ses amis dans un bar du centre-ville. Il apprécia l’ambiance du lieu purifié de toute fumée de cigarettes. Il se remémorait les soirs où il était rentré chez lui, empestant le tabac et la gorge douloureuse d’avoir inhalé trop de fumée. Lui qui n’avait jamais allumé une cigarette de sa vie, ne pouvait qu’apprécier cette nouvelle situation. Pour une fois, il soutenait le gouvernement dans ses agissements.
Il s’assit autour d’une table avec ses amis en buvant quelques bières. Il discutait inlassablement avec ses compagnons, riait avec plaisir après avoir passé presque deux semaines à déprimer. Il ne mentionna pas le nom de François une seule fois et ses comparses n’abordèrent pas le sujet. Il y pensa à quelques reprises, son regard se voilant immédiatement de tristesse, mais chassa l’intrus rapidement. Il n’était pas question de se lamenter, pas ce soir !
Vers minuit, il regagna son studio et s’échouant sur son lit, il s’endormit. Le lendemain, il se réveilla au courant de l’après-midi. Plutôt que de rester seul dans son petit appartement peut attrayant, il prit la décision d’aller flâner dans les rues de la ville animée malgré le froid hivernal. Il se promena au grès de ses envies, laissant ses pensées vagabonder et en s’efforçant de ne pas penser à François qui, malheureusement, ne voulait pas laisser son cœur meurtri en paix.
Au bout de quelques heures, ses pieds le menèrent, bien malgré lui, jusqu’au café où il avait rencontré François. Il s’assit à une table et commanda un thé. Contrairement à François, il ne buvait que très rarement du café que, généralement, il agrémentait d’une bonne dose de lait et de sucre ne supportant pas l’amer du nectar.
Posé à la table de ce bar, il ne put s’empêcher de fixer la porte pendant plus d’une heure, s’attendant à tout moment à voir François la franchir. Les haut-parleurs diffusèrent le titre Apologize des OneRepublic. Ce hasard l’amusa mais lui laissa un arrière goût d’acrimonie dans la gorge. Au bout d’un moment, lassé d’être aussi pathétique, il rentra chez lui. Le lendemain il devrait reprendre le travail et avec lui son ancienne vie reprendrait son cours.
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Ha ! Une autre mention de ce titre "Apologize" ^^ Serais-tu fan ? (t'as vu j'ai l'oeil hein =p)
RépondreSupprimerMerci pour tous tes commentaires et tous tes compliments. Je suis contente d'avoir pu faire plaisir avec mes textes.
RépondreSupprimerQuant à "Apologize", j'adore ce titre.