Deux longs mois avaient passés depuis sa séparation avec François. Thomas avait finalement mis son ex-petit-ami de côté et avait poursuivit sa vie s’interdisant de trop penser à cet homme qu’il n’arrivait pas à oublier complètement. Même si le souvenir de cet amour passé se faisait plus ténu, la douleur de l’avoir perdu était toujours présente. Cependant, Thomas avait fait le choix de cacher cette peine sourde et de reprendre les habitudes de son ancienne vie.
Malgré cela, depuis ce douloureux évènement, il avait pris une nouvelle habitude. Il allait régulièrement dans le café où il avait rencontré François pour la première fois. Il s’asseyait seul à une table et lisait un journal, un livre, qu’importe ce qui lui tombait sous la main, ou écoutait la musique que diffusait le lieu en regardant les passants dans la rue derrière la grande baie vitrée. Il n’attendait pas réellement son ex-amant, plus maintenant. Du moins essayait-il de s’en convaincre, même s’il s’imagina à plusieurs reprises rencontrer son ex-petit-ami par hasard. Quelle serait donc la réaction de François ? Aurait-il changé ? Et quelles auraient été ses propres réactions ? Et finalement, la perspective de revoir cet homme l’effrayait.
Alors qu’il était plongé dans ses pensées à contempler la vie qui passait à l’extérieur, Thomas ne fit pas attention au jeune homme qui s’assit en face de lui.
« Salut ! » se manifesta ce dernier.
Thomas se tourna vers ce nouvel arrivant assis au fond de la chaise qui lui faisait face. Il ne le connaissait pas. Il le dévisagea quelques secondes. C’était un jeune homme qui devait avoir à peu prés son âge, peut-être un peu plus jeune. Il avait un visage carré, une peau finement rasée et des lèvres fines qui se pinçaient alors qu’il regardait Thomas. Ses yeux verts, surplombés par d’épais sourcils broussailleux et prolongés par de longs cils noirs, ne cessaient de le fixer dans l’attente d’une manifestation de sa part. Il était beau. C’était indéniable.
« Salut, » répondit enfin Thomas, un peu surpris.
« Je ne te dérange pas ? » demanda l’inconnu.
« Non.
- Je m’appelle Éric.
- Thomas, » informa mécaniquement ce dernier.
Le jeune homme lui sourit et se pencha sur la table.
« Tu attends quelqu’un ?
- Non.
- Je sais que c’est un peu ridicule comme approche mais ça fait un moment que je t’observe. »
Le jeune homme s’arrêta afin d’épier les réactions de Thomas qui sourit. Celui-ci se souvint de sa première rencontre avec François, dans ce café. Pendant longtemps, il l’avait observé de loin, n’osant pas l’approcher puis un jour, il s’était lancé et l’avait abordé. François, bien sûr, ne l’avait pas remarqué. Mais il avait réussit à engager la conversation et très vite, ils s’étaient rendus compte qu’ils se plaisaient et s’étaient fixé rendez-vous, quelques jours plus tard.
Retournant à son présent, Thomas souriait toujours au jeune homme en attendant qu’il poursuive.
« Tu viens toujours dans ce café et tu t’assois à cette table. Tu m’intrigues, alors j’ai pris mon courage à deux mains et je suis venu te parler.
- Tu n’as pas peur que je te foute mon poing dans la figure ?
- J’ai pris le risque… » Éric fit une pause en épiant les réactions du jeune homme qui lui faisait face puis demanda : « Tu vas le faire ?
- Non, » répondit Thomas en souriant de plus belle.
Ils commencèrent à discuter, de tout et de rien. Ils se plaisaient. Ils se trouvèrent de nombreux points communs, bien plus qu’il n’en avait avec François et prirent la décision de se revoir.
Les deux jeunes hommes se rencontraient toujours dans ce café. Ils bavardaient, continuaient à faire connaissance. Ils n’étaient pas encore passés aux choses sérieuses. Thomas appréciait ces moments de conversations et de complicités dans ce café qui lui faisaient oublier les souvenirs qu’il y avait de François. Il aimait apprendre à connaître une personne qui lui était totalement étrangère et qui s’étonnait de ses réactions. Il savourait ces instants d’apprentissage de l’autre et petit à petit, ils devinrent amis. Thomas savait pertinemment où tout cela les mènerait.
Bien qu’il semblât ne pas avoir osé lors de leurs premières rencontres, depuis quelques temps, les petits gestes d’affection d’Éric étaient de plus en plus présents : Il replaçait une mèche de ses cheveux et laissait sa main caresser sa joue ; Il posait une main innocente sur la sienne ; Il frôlait « accidentellement » son genou du sien. Thomas se laissait faire. Ces petits gestes cherchant l’intimité n’étaient pas pour lui déplaire et bientôt les souvenirs de François ne le hantaient plus.
Ce jour-là, Éric semblait bien décidé à passer à la vitesse supérieure. L’attraction physique qu’ils avaient tout les deux ressenti le premier jour de leur rencontre, ne s’était pas atténuée au fil du temps, bien au contraire. Bien que Thomas redoutât encore un peu le moment où leur relation toute fraiche allait prendre un nouveau tournant, il savait que c’était inévitable. Tôt ou tard, il faudrait qu’ils se rencontrent autre part que dans ce café, qui, bien vite, était devenu le leur. Thomas en était conscient mais refusait de précipiter les choses. Il ne se sentait pas de faire le premier pas. Cependant, Éric, quant à lui, n’hésita pas longtemps et se lança enfin.
« Tu ne voudrais pas que l’on se retrouve quelque part ce soir ? Je commence un peu à me lasser de ce café. »
En disant cela, il prit la main de Thomas et déposa un petit baiser sur la paume. Le jeune homme, à ce contact, eut un petit frisson. D’appréhension ? De plaisir ? Il ne le savait pas vraiment. Mais, bien qu’un peu angoissé de la tournure que prenaient les choses, Thomas avait envie de se laisser tenter par ce jeune éphèbe. Il acquiesça en silence.
« On pourrait se faire une toile pour changer, » ajouta Éric en déposant un nouveau baiser sur la main du jeune homme, parfaitement conscient de l’effet qu’il produisait.
Thomas accepta de nouveau sans dire un mot.
« Et puis, pourquoi pas un restau ? »
Et avec ses mots, les lèvres d’Éric vinrent encore se poser dans le creux de la main du jeune homme. Ils se regardèrent, les yeux brûlant de désir et ils n’eurent pas besoin d’ajouter que la soirée finirait sans aucun doute, chez l’un ou chez l’autre. Leurs regards étaient suffisamment équivoques. Ils restèrent encore un moment, comme cela, à se fixer, Éric ne lâchant pas la main de Thomas. À ce stade, les paroles étaient superflues.
Le soir même, ils se retrouvèrent devant un petit cinéma du centre-ville. Ils optèrent pour une grosse production hollywoodienne, ne se sentant pas la tête à réfléchir. La salle était étrangement vide pour un vendredi soir. Ils s’installèrent, l’un à côté de l’autre, dans les spacieux fauteuils rouges vifs. Les bandes-annonces commencèrent à défiler dans une semi-obscurité alors que quelques personnes arrivaient, mais pas énormément. Les masses devaient sans doute aller au multiplexe en périphérie de la ville. Cependant, les deux jeunes gens ne s’en formalisèrent point, préférant l’intimité.
Puis, les lumières s’éteignirent et le film débuta. Quelques minutes passèrent et Thomas, le bras sur l’accoudoir, sentit une main sur la sienne. Il se tourna vers Éric qui lui souriait. Il prit cette main qui lui était offerte en lui rendant son sourire puis se retourna vers le film.
Près d’eux, un couple d’entre deux âges se leva, le dos courbé pour ne pas importuner les personnes derrière lui. Il passa devant les jeunes hommes, et voyant le regard haineux qu’on lui lançait, Thomas lâcha la main d’Éric en ramenant ses jambes sous son fauteuil pour laisser passer le couple qui alla s’asseoir plus loin. Thomas s’enfonça dans son fauteuil, gêné et un peu en colère de constater, qu’encore à cette époque qui se voulait si ouverte, ce genre de regard se posait toujours sur lui pour avoir eu l’audace de prendre la main d’un autre homme. Il posa son coude sur l’accoudoir opposé à celui qu’il partageait avec Éric et posa sa tête dans sa main, reprenant le cours de la projection.
Le jeune éphèbe avait senti la gêne de Thomas et ne se manifesta pas pendant un moment. Il jeta un coup d’œil au couple qui leur était passé devant et vérifia qu’il ne se préoccupait plus d’eux. Rassuré, car il ne voulait pas faire d’esclandre, il posa sa main sur le genou du jeune homme assis à côté de lui. Thomas le regarda et jeta, lui aussi, un coup d’œil au couple qui semblait suivre le film. Il prit à nouveau la main d’Éric et se rapprocha de lui, caché par le dossier de son fauteuil. Il posa sa tête sur l’épaule du jeune homme et reprit le fil de l’histoire qui défilait sur le grand écran. Il n’était pas de ceux, qui devant le genre d’attitude du couple, se seraient affichés ouvertement par pure provocation. Il n’aimait pas l’étroitesse d’esprit dont certaines personnes pouvaient faire preuve mais il ne cherchait pas à attirer les regards sur lui. Cependant, il avait bien le droit de profiter d’un film avec son petit-ami sans être regardé de travers. Le couple qui les avait fusillé du regard ne se gênait pas lui, alors pourquoi Thomas devrait-il se retenir ?
Au bout d’un moment, il sentit la tête d’Éric se poser sur la sienne. Sans quitter l’épaule du jeune homme, il se retourna vers lui. Leurs visages étaient très proches. Il pouvait sentir son souffle chaud effleurer sa peau. Après quelques secondes à se fixer, Éric se pencha d’avantage sur lui et déposa un léger baiser sur ses lèvres. Thomas le laissa faire, tenant toujours la main de son ami, leurs doigts entrelacés. Le jeune homme titilla de sa langue les lèvres qu’Éric entrouvrit au contact de cette nouvelle caresse. Il vint chatouiller du sien l’isthme qui lui était offert. Une danse suave mêlant langue et salive s’ensuivit. Éric prit le visage de Thomas de sa main libre dans le but d’approfondir ce baiser plein de tendresse. Le jeune homme garda les yeux mi-clos afin d’observer le magnifique visage du jeune éphèbe dont les paupières aux longs cils tremblaient légèrement. Après quelques minutes de cet échange passionné, à l’abri des regards, Éric quitta à regret la bouche pulpeuse de son ami. Il le regarda. Une flamme de désir tournoyait dans les prunelles noisette du jeune homme. Il lui sourit et on lui rendit son sourire. Puis, ils se tournèrent tout deux vers l’écran défilant toujours le film à gros budget.
Le reste de séance se passa tranquillement. Ils suivirent la projection et s’embrassèrent de temps à autre. Une fois la salle rallumée, ils se détachèrent l’un de l’autre après un dernier baiser et sortirent du cinéma. Ils avaient convenu d’aller manger au restaurant et respectèrent leur plan et ce, même si aucun des deux en avait réellement envie à présent, pressés de passer à la suite du programme.
Alors qu’ils flânaient dans les rues, main dans la main, à la recherche d’un restaurant qui attiserait leur intérêt, Thomas se figea. Un homme vêtu d’un long manteau et d’un costume trois pièces de grands couturiers se planta devant eux. Ce dernier lâcha sa sacoche en apercevant Thomas. Le jeune homme se crispa sur la main de son ami qu’il tenait toujours ce qui lui valu un regard interrogateur de la part d’Éric. Mais il ne le regardait pas. Il avait les yeux rivaient sur le nouvel arrivant.
Il n’avait jamais parlé de François à son nouvel ami, dans l’espoir de partir sur de nouvelles bases sans que les fantômes de son passé ne viennent le hanter. Mais à présent, le fantôme était là, devant ses yeux et c’était peu de le dire. François était méconnaissable. Le visage mal rasé, les traits tirés par la fatigue et les yeux rouges, Thomas ne savait quoi ressentir devant ce spectacle affligeant. Il vit le regard de son ex-amant se porter sur les mains jointes des deux jeunes hommes puis revenir s’encrer dans ses prunelles. François n’avait plus ce regard froid qu’il lui aurait lancé en un autre temps.
« Tu me manques » fit l’homme d’une voix presque suppliante.
Thomas en resta bouche bée. Il ne savait pas quoi dire. Sous le choc de cette confession, la tête commençait à lui tourner. Il s’agrippa avec plus de force à la main qu’il tenait toujours pour ne pas tomber à la renverse. François remarqua ce geste pourtant à peine perceptible. Il dut le prendre comme une forme de rejet car il ramassa sacoche et lança un dernier regard empli de tristesse au jeune homme.
« Je te souhaite d’être heureux, » ajouta-t-il dans un sourire timide.
Puis, devant le mutisme d’un Thomas paralysé, il s’en alla la tête baissée. Le jeune homme avait du mal à reprendre ses esprits. Il regarda Éric bouche bée, les yeux ronds comme des billes. Il ne savait pas quoi dire, quoi faire. Un torrent d’émotions se déversait sur son âme. Des questions s’entremêlaient dans sa tête. Son cœur était sur le point d’exploser. Éric posait un regard interrogateur sur lui, insinuant la question qui n’osait franchir ses lèvres.
« Je… je crois que… je ferais… je ferais mieux… de renter… » bafouilla Thomas.
« Quoi ? » s’insurgea le jeune éphèbe. « Mais c’était qui ce mec ?
- Mon ex, » répondit-il dans un murmure.
Une dispute s’ensuivit. Thomas avait les idées trop embrouillées. Il avait besoin de réfléchir et la crise de jalousie que lui faisait Éric n’arrangeait en rien les choses. Certes, elle était justifiée mais il avait besoin de faire le point sur ce qu’il venait de se passer. La confession de François, qu’il pensait avoir oublié, l’avait profondément bouleversé et il ne se voyait pas continuer sa soirée avec son nouveau petit-ami comme si de rien n’était. Puis l’ultimatum tomba :
« Si tu pars maintenant, ce sera pas la peine de revenir ! »
Thomas lâcha la main d’Éric qu’il n’avait pas quitté jusque là. Il pouvait comprendre sa colère mais la trouvait disproportionnée alors qu’il n’était qu’à leur premier rendez-vous en tant que couple. D’un coup, il n’était plus vraiment sûr qu’Éric fût le genre de personne qu’il lui convienne. Il lui tourna le dos et rentra chez lui sans dire un mot. Le jeune homme ne chercha pas plus à le retenir. Une autre histoire qui s’achevait avant même d’avoir commencé, pensa Thomas alors qu’il regagnait son studio.
Ma vie est vide sans toi by LoalAnn est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale-Pas de Modification 2.0 France.
Basé(e) sur une oeuvre à lespetiteshistoiresdeloalann.blogspot.com.
c'est la 1ere histoire que j'ai lu sur ton blog ! je l'ai trouvé super !
RépondreSupprimerje vais tacher de lire les autres !!
tam
Merci pour ton commentaire.
RépondreSupprimerEt j'espère que le reste te plaira tout autant.